24 décembre 1994

Je replis mes genoux pour que mon frère puisse passer et s'asseoir à côté de moi dans la voiture. On est trop serré, c'est une petite voiture du début des années 70, mais avec le temps, on s'est habitué. Mon frère me tape sur l'épaule pour me réveiller, je suis complètement grillé et j'ai du mal à rester éveillé. Il me prend par le bras pour me redresser contre le siège pour que j'aie l'air vivant avant que mon père entre à l'avant. Je déteste mon frère, entre nous, il y a juste une vague ressemblance physique. Le ciel devient gris au-dessus de nos têtes et le moteur de la voiture démarre.

J'ai toujours détesté les repas de famille: les questions désagréables, les clashs qui partent d'un rien, l'hypocrisie ambiante des conversations, c'est insupportable. Je repose ma tête sur mon bras tout en essayant de suivre les paroles des gens autour de moi. Mon père évite toutes questions sur moi, sur mes expulsions répétées de mon lycée en changeant de sujet. Ce n'est pas de ma faute, je ne peux pas m'empêcher de me battre dès qu'on me provoque. Et cette sensation, cette excitation quand je me prends un coup, c'est pour ça que je le fais surtout, le sentiment de puissance, le gout salé du sang qui coule jusqu'à mes lèvres. J'ouvre les yeux une dernière fois avant de m'endormir sur la table.

Janvier 2014

Je me penche et pose ma tête sur la fenêtre de mon appartement et je regarde les lampadaires dans la rue s'éteindre. Elly est assis à côté de moi sur le canapé les yeux rivé sur son ordinateur, mon chien dort à ses pieds. Sur le mur derrière lui, mes diplômes encadrés. Ce n'est rien d'excitant, ceux de base dont j'ai besoin pour mon travail d'instituteur, mais ça fait classe, ils sont là juste pour que je me la péter. Je me retourne vers Elly pour lui demander ce qu'il veut pour manger, mais il ne me répond même pas, toujours le nez sur son écran. Ça me fait rire, il le fait souvent. Je lui parle et c'est comme si je suis invisible, il continue à faire ce qu'il fait dans son coin. Je ne le connais pas vraiment pour être honnête. Il est arrivé ici il y a quelques semaines, une longue histoire, l'ami d'un ami, un jour il s'est pointé à ma porte et s'est installé ici. Il a l'air tellement seul, je ne peux pas dire pourquoi, par moment j'ai envie de lui faire un câlin, juste pour voir sa réaction.

Quand j'ai trop de mal pour de dormir, je sors et je fais des tours en voiture. C'est con mais j'adore ça. Je peux rouler pendant des heures, toute la nuit par moment. C'est tellement... Calme. Je me redresse et je vais vers ma chambre. Elle n'est pas spacieuse et le papier peint vert et blanc commence à se décrocher par endroit, mais je fais avec. Je mets mes écouteurs et je lance au hasard une chanson. Du hard rock. J'essaye de m'endormir en me concentrant sur la musique. Ça prend du temps, mais éventuellement je m'endors en regardant Elly caresser mon chien dans le salon. Par la fenêtre, le soleil se lève. Encore une nuit passée à rien faire.