Lorsque j’étais petite, ma mère me disait souvent : « n’oublie jamais d’où tu viens ». Plus jeune, je ne comprenais pas vraiment le sens de cette phrase, mais maintenant je suis un peu plus éclairée sur le sujet. Je suis née et j’ai grandi à Winchester… Capitale du compté de l’Hampshire, au Royaume-Unis. Ici, il pleut à peu près trois cent soixante-quatre jours par an, ce qui constitue pratiquement une année entière. Nous avons le loisir de pouvoir aller à la plage l’été… même si je vous avouerai que la Manche, c’est pas l'étendue d'eau dans laquelle je préfère me baigner, à cause de son manque de chaleur… Ouais, Winchester, c’est pas une ville exceptionnelle. Il n’y a pas de monuments incroyables, ni d’attractions sulfureuses. Les touristes sont relativement rares et la vie suit son cours sans vraiment faire d’écarts. La plupart des gens se demandent comment une fille comme moi peut vivre dans un endroit aussi… paisible. C’est pourtant simple, je n’ai pas le choix. Du haut de mes dix-sept ans, je suis encore sous la garde de mes parents, Evy et Robert Monroe. Non, rien à voir avec la belle et célèbre Marilyn. J’aurais bien aimé attraper quelques uns de ses plus beaux gênes, mais nous n’avons aucun lien du sang en commun, alors ça aurait été surprenant que cela arrive. Mon père travaille dans une agence automobile. Il vend des voitures à la classe populaire et arrive à nous faire vivre avec son salaire de commercial. Je pense qu’il aime bien son métier, mais qu’il commence à se lasser. Voilà trente ans qu’il mène la même vie, sa lassitude est donc plutôt compréhensible. Maman, elle travaille sans vraiment travailler. D’après elle, le comble du glamour, c’est d’être une femme au foyer, mais papa ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, son petit salaire ne suffit pas à nous offrir, à mon frère et à moi, une vie assez convenable. Alors, il pousse maman à se trouver un travail. Ceux ne sont que de petits jobs, comme vendeuse dans une boutique de prêts à porter féminins ou baby-sitter, mais l’entrée d’argent n’est pas négligeable. Au fond, je crois que ma mère est née à la mauvaise époque. Elle aurait été parfaitement à sa place dans l’après-guerre jouant le rôle de la bonne ménagère qui se respecte. Maman rêve de passer ses journées à la maison, voir ses copines, intégrer des clubs de lecture… Être une femme au foyer quoi, mais c’est à croire qu’on n’a pas toujours ce que l’on veut dans la vie. Et puis, il faut dire que pour satisfaire Kyle il faut, au moins, avoir un salaire de ministre. Kyle ? C’est mon petit frère ! De sept ans mon cadet, il est aujourd’hui âgé de dix ans et je crois qu’il vient tout juste de rentrer dans ce que mon grand-père appelle « l’âge bête ». Il n’a vraiment pas tord puisque Kyle est loin d’avoir inventé la poudre, si vous voyez ce que je veux dire. Son but ultime dans la vie, c’est de rendre la mienne un véritable enfer. Alors pour cela, toutes les techniques sont bonnes, que ce soit le classique vol de soutient gorge pour en faire un lance-pierre, le sot d’eau posé au-dessus de la porte, le sel dans le lit… Il tente par tous les moyens de m’énerver, mais c’est mal me connaitre… Moi ? Attendez, j’y arrive ! Ne gardons pas toujours le meilleur pour la fin ? Héhé ! Alors moi, je me nomme Charlotte Monroe, mais j’ai un tel mépris pour mon prénom que tout le monde m’appelle Charlie, même mes professeurs (à part la vieille mégère de prof d’Anglais, mais ça, c’est juste pour me faire chier). C’est ma mère qui a choisi ce prénom, d’après elle, il me donne un aspect de dame française un peu bourgeoise. Pff… n’importe quoi ! Du coup, Charlie, ça me convient beaucoup mieux. Je suis âgée de dix-sept ans et j’ai vécu ma vie entière à Winchester. Ouais, ma vie est loin d’être passionnante et croyez-moi, je rêve de voyages, d’aventures, d’adrénaline. La plupart de mes amis pensent que je suis beaucoup trop inconsciente et casse-cou, mais que voulez-vous qu’il m’arrive ? Dans le pire des cas, je meurs… De toute façon, n’est-ce pas sensé arriver un jour ou l’autre ? Un jour de plus, un jour de moins, ça change pas grand-chose ! Ouais, j’ai une philosophie de vie un peu spéciale et la plupart des gens ont du mal à me suivre. C’est pas grave, parce que je me fiche bien de l’avis des autres à mon sujet. Les seuls avis qui comptent pour moi, c’est ceux de mes amis. Oui, je suis du genre à accorder une place énorme dans ma vie à mes amis et pour preuve : je côtois les mêmes personnes depuis ma plus tendre enfance. Bon bien sûr, il y a bien mes copines de l’équipe de basket, mais ceux ne sont que de simples copines. Moi, je vous parle de l’amitié, la vraie. Celle qui traverse le temps, celle qui franchit toutes les barrières. Alors peu importe que les gens me trouvent folle, bête, casse-cou, inconsciente et immature, parce que moi, j'ai mes amis à mes côtés et c’était tout ce qui compte.
Tout d’abord, il y a Thyméo, mon cousin. Bon, normalement on évite de trainer avec son cousin, mais le mien il est tellement cool qu’on est dans le même groupe d’amis. J’crois que j’ai toujours rêvé qu’il soit mon frère et inversement. D’ailleurs, je l’échangerais bien contre Kyle, mais mes parents et ma tata ne veulent pas. Nos mères sont sœurs, du coup, ne vous étonnez pas si on ne porte pas le même nom de famille, mais les liens n’en sont pas moins renforcés. Thyméo c’est un peu… mon tout. Ouais, on s’entend vraiment bien et heureusement pour moi, il est là durant ces interminables repas de famille qui peuvent sembler plus qu’ennuyants. Bref, Thyméo a une espèce de réputation de coureur de jupons qui lui colle à la peau. C’est un peu étrange lorsqu’on sait que ce mec est un vrai cœur d’artichaut - même s’il se prive bien de le montrer -, mais bon, chacun sa vie chacun son chemin, comme on dit.
Ensuite, laissez-moi vous présenter Noah… Comment décrire cette petite tête blonde en quelques phrases… ? Exceptionnel. Voilà, Noah est un être exceptionnel. Je crois que tous les deux, on se complète pas mal puisqu’il a pris de mon côté féminin et moi de son côté masculin. Il faut savoir que Noah est un vrai bisounours dans l’âme. Il fait craquer plus d’une fille avec sa bouille adorable, mais ne s’en rend pas vraiment compte, c’est ça qui est énorme. Quoiqu’il en soit, Noah c’est un peu le baby boy du groupe, celui que tout le monde aime (et qui reçoit des chocolats de la part de la prof d’histoire pour noël - gros fayot -) et comment ne pas en être raide dingue ? Bon, n’allez pas croire que je ressens plus que de l’amitié pour Noah, pas du tout même, mais ce mec est une vraie perle et malgré toutes nos différences, on arrive à trouver un équilibre.
Maintenant, passons à Britt… Enfin, son vrai prénom c’est Brittany, mais comme moi, elle ne l’apprécie pas vraiment, du coup, tout le monde l’appelle Britt… Dernière arrivée dans la bande, elle a mis un peu de temps à s’intégrer dans le groupe (et ne remercions pas mister grincheux, j’ai nommé Eliott, pour ça !), mais désormais elle y est parfaitement à sa place. Britt est très certainement la fille la plus « girly » du groupe. Celle qui en connait le plus sur les derniers potins, les tendances de la saison et les garçons célibataires au lycée. La plupart des gens voient Britt comme une espèce de caricature de l’adolescente un peu garce qu’on voit dans ces films pour jeunes… mais moi, je pense qu’elle est plus que cela. Britt, c’est le genre de fille qui sait énormément de choses dans le domaine amoureux, du coup, c’est facile de se confier à elle et de lui demander conseil. J’crois qu’on devrait tous avoir une Britt dans son entourage !
Ensuite, passons à Ryan, celle que j’aime appeler ma meilleure amie. Ma ? Oui, Ryan est une fille, étrange, non ? C’est vrai qu’avec un prénom pareil, on pourrait penser le contraire, mais Ryan est belle et bien une fille, croyez-moi, j’ai déjà vu ce qu’il y avait en bas de sa ceinture et il n’y a rien d’intéressant à voir… du moins, d’après moi… Enfin bref, Ray est très certainement la plus fragile dans le groupe, la moins affirmée. On sait tous que notre rôle final est de prendre soin d’elle, parce qu’elle est fragile et pleine de blessures au fond d’elle. Ryan et moi sommes opposées sur de très nombreux point… d’ailleurs, les gens sont souvent étonnés de nous voir aussi proches, mais je crois que nos différences nous rendent complémentaires et que c’est pour cela que nous sommes aussi attachées l’une à l’autre. Ah oui, détail important : Noah et Ryan sont jumeaux (et je soupçonne leur parent d’avoir toujours voulu deux garçons et c’est pour ça que Ryan se tape un prénom pareil ! Enfin j'dis ça...).
Et enfin, le voici, le voilà, notre mouton national (il déteste quand je l’appelle comme ça, mais on s’en fou il est pas lààààà ! Et ouais, quand le chat n’est pas là, les souris dansent la macarena, que voulez-vous !), j’ai nommééééééé : ELIOTT !! Ouais, comme Eliott et le dragon (d’ailleurs je crois que c’est grâce/à cause de ce dessin animé que ses parents lui ont choisi ce prénom). Alors Eliott c’est un… sacré oiseau, dirons-nous ! Sa première qualité est très certainement sa générosité, aussi bien matériellement parlant qu’au niveau de son comportement. Ouais, Eliott c’est le genre de mec à aider une petite mamie à traverser la route et vous offrir des chocolats même s’il ne roule pas sur l’or et que c’est même pas votre anniversaire. Pourtant, n’allez pas croire que c’est l’homme parfait, parce que le frisé se tape une bonne dose de défauts (j’suis méchante, mais je l’adore !). Ouais, Eliott est un peu un caractériel et surtout, c’est un gros trouillard - ce que j’ai découvert il y a peu, mais nous y reviendrons par la suite -. Je crois que c’est celui, au sein du groupe, que j’arrive le plus à rallier à ma cause et d’ailleurs, on travaille au même endroit, dans la boutique de jeux vidéos, à côté du lycée.
Bref, voici un court résumé de ma vie, mes amis et ce que je suis… Je ne vous promets pas une histoire comme on en lit dans les livres ou voit dans les films… mais c’est la mienne et c’est déjà exceptionnel (non, mes chevilles n’ont pas gonflé !).


En apparence, c’était une journée de septembre tout à fait normale, mais lorsqu’on s’y penche un peu plus, il n’est pas difficile de constater que cette journée n’avait rien d’ordinaire. Nous avions quatorze ans et c’était l’heure de la récréation du matin. Comme à notre habitude, toute la bande était réunie à l’ombre d’un arbre. Notre arbre, comme on aimait l’appeler, puisqu’on virait régulièrement les jeunes qui venaient squatter. Si d’ordinaire nous étions tranquillement installés sous ce chêne, ce jour là, nous étions tous un peu tendus, installés en ronde, fermant ainsi notre cercle. « Je sais pas les gars, on la connait pas cette fille ! », commença Thyméo, brisant le silence qui venait de prendre place. Je lançais un rapide coup d’œil derrière mon épaule, constatant que Brittany était restée à sa place, quelques mètres plus loin à attendre notre décision finale. Elle était nouvelle en ville et les gens commençaient déjà à parler d’elle dans la cours de récréation. Il faut dire qu’un nouveau visage attise la curiosité, surtout lorsqu’il est aussi joli que celui de Britt et sa beauté n’avait pas échappé à Noah, qui tentait tant bien que mal de la faire accepter dans notre cercle - très privé - d’amis. « Mais justement, c’est l’occasion de la connaitre ! », argumentait-il, un peu plus et il se mettait à genoux devant nous. Ouais, Noah craquait vraiment pour la jolie Brittany et pourtant, encore aujourd’hui, de longues années plus tard, leur relation n’a pas dépassé le simple stade de l’amitié. Il est pas doué le petit, c’est moi qui vous le dis ! Bref, quoiqu’il en soit, l’argument de notre blondinet ne semblait pas convaincre les autres, encore moins Eliott qui s’empressa de rétorquer un sec : « Et depuis quand on accepte n’importe qui dans notre bande, hein ? ». Il pouvait paraître si renfermé parfois, c’était hallucinant ! Surtout lorsque l’on savait à quel point il pouvait être gentil et avenant. Mais je crois qu’il avait peur qu’une nouvelle venue dans la bande ne détruise quelque chose entre nous. Et puis secrètement, les garçons ne voulaient pas perdre le pouvoir qui leur était dû grâce à leur supériorité numérique. Pour une fois, j’étais silencieuse, mangeant ma pom’pote tout en observant minutieusement mes amis. A vrai dire, j’étais assez indifférente à la question. Que Brittany intègre notre bande ou non, ne m’importait pas vraiment. « T’en penses quoi Ray ? », demanda alors Thyméo, sachant pertinemment que la belle blonde n’allait pas donner son avis si on ne le lui demandait pas. Elle était comme ça Ryan, beaucoup trop timide pour imposer ses décisions aux autres. Elle était d’une nature douce et s’accommodait facilement aux choix que les autres pouvaient faire. Cependant, on tentait de prendre le plus en compte son avis, histoire qu’elle se sente bien avec nous. D’abord surprise, Ryan haussa ensuite les épaules, son visage prenant une expression un peu confuse, mais incroyablement mignonne. « Je… je sais pas… on peut pas la laisser toute seule quand même… ». Cette fille était la bonté incarnée. Et c’est aussi pour ça que je l’adorais autant. Parfois, je pouvais me montrer un peu intolérante et dans ces moments là, je savais qu’il suffisait que j’écoute les conseils de ma meilleure amie pour me remettre dans le droit chemin. Avoir une personne telle que Ryan dans ma vie avait un côté très rassurant et c’était très agréable. La réflexion de ma meilleure amie eu pour résultat de rendre son jumeau assez satisfait et les deux autres garçons un peu soucieux. Elle avait raison, on ne pouvait pas la laisser toute seule, la pauvre… « Et toi, la grosse, t’en penses quoi ? », me demanda alors Eliott, un petit sourire au bord des lèvres. J’avais beau adorer ce mec, il savait parfaitement appuyer sur le bon bouton pour m’énerver… cependant, cette fois-ci, je décidais de ne pas faire d’histoires et passais le vilain surnom qu’il venait de m’attribuer...  mais au moment où j'allais répondre, je sentis deux bras entourer ma taille, par derrière. Instantanément, je me mis à sourire et des lèvres se posèrent sur ma joue. « Hey bébé, vous faites quoi ? ». C’était Jonathan. Mon copain depuis peu… Mon tout premier et c'était vraiment agréable d’avoir quelqu’un qui vous aime à vos côtés. Thyméo grimaça à la vue de notre échange. Il n’aimait pas John, sans vraiment avoir de raisons… Enfin bref, j’allais, une fois de plus répondre, mais me fit couper par un Eliott visiblement agacé: « on est en pleine discussion de groupe super privée là, alors dégage ! ». Okaaaay… Mes sourcils se froncèrent et je crus voir des rictus amusés prendre place sur les visages de mes amis. Ils ne semblaient pas trop apprécier John et je ne savais pas vraiment pourquoi. Peu importait au final, c’était mon copain, pas le leur. Pris au dépourvu, John se détacha de moi, me lança un petit « t’es visiblement occupée, on se voit plus tard ? », auquel je répondis par un hochement affirmatif de la tête et un baiser sur sa joue. Une fois mon copain hors de vue, je fronçais les sourcils, regardant d’un air dur Eliott, mais évitant de faire des histoires en relevant combien il avait pu être grossier envers mon petit-ami. « Moi, j’pense qu’elle m’a donné son stabilo senteur pomme verte en cours de chimie, alors elle est gentille et du coup, on devrait l’intégrer à notre bande. », tranchais-je calmement. Ouais, on peut m’acheter avec des stabilos qui sentent la pomme… En fait, on peut m’acheter avec n’importe quoi, tant que c’est pas des légumes. Le visage de mon cousin prit alors cette expression que je connaissais bien et qui voulait dire : tu marques un point, puis, finis par se ranger de notre côté : « ok, j’suis d’accord ! », ce qui fit sourire grandement notre petit Noah, tout contant d’un futur rapprochement entre lui et la belle Brittany. Le seul mécontent dans l’histoire, c’était Eliott et il ne tarda pas à le faire savoir : « Putain, mais il vous prend quoi làààà ! Le but de la bande des cinq, c'est d'être cinq ! Si on est six, ça marche plus !!! ». Son résonnement était débile, mais bon, c’était Eliott, fallait pas trop lui en demander non plus ! « Ben on a cas s’appeler la bande des six ! », rétorqua Noah, suivit de près par moi : « en plus, c’est bien six, c’est un chiffre rond ! ». Eliott avait désormais croisé ses bras sur sa poitrine, l’air boudeur et il était tout mignon comme ça. « Allez, je vais dire à Britt qu’elle peut venir ! », annonça un Noah tout guilleret alors que Eliott boudait toujours. « Rooh fais pas la tête bouclette ! » (la rime est gratuite !) et n’en tenant plus, je passais une main dans sa touffe réussissant, tant bien que mal, à lui arracher un petit sourire. Une bise sur la joue et voilà que mon Eliott avait retrouvé le sourire… Et c’est ainsi qu’en cette rentrée de nos quatorze ans, Brittany entra dans la bande.


Là, allongée sur le lit de Ryan, j’avais l’air plus pitoyable que jamais. C’était pas trop mon genre de me lamenter sur mon sort, mais pour le coup, je crois que j’avais des circonstances atténuantes. « Tu veux que je te fasse une tartine de Nutella ? », me proposa gentiment ma meilleure amie. Relevant la tête de l’oreiller dans lequel j’avais blotti mon visage depuis une bonne demie heure, je soufflais un bon coup et haussais les épaules. « … ouais ? ». A vrai dire, j’ignorais de quoi j’avais véritablement envie… J’étais triste et par-dessus tout je me sentais stupide. C’est la première étape quand on se fait larguer, à ce qu’il parait. Assistant à mon manque inhabituel d’enthousiasme, Ryan finit par s’assoir sur son lit, juste à côté de moi. Elle passa une douce main dans mon dos et je ne pouvais supporter son regard. « Oh non, pas le regard de la pitiééééé ! », lançais, enfonçant immédiatement mon visage dans son oreiller. Au moins, pas de risque qu’il se retrouve mouillé puisque je ne pleurais pas. Non pas que je n’étais pas triste, bien au contraire, mais pleurer, c’était juste… pas mon truc. Et pour preuve, je ne me souviens même pas de la dernière fois où j’ai versé quelques larmes. Mes yeux refusent tout simplement de se laisser aller. Non pas que je m’en plaigne, ça me permet de garder un semblant de dignité dans les moments les plus pénibles, c'est déjà ça. « J’ai pas pitié, j’suis juste désolée pour toi, tu méritais pas ça… ». Je n’étais pas aussi sûre qu’elle sur ce point. Certes, je n’avais rien fait de mal, mais je n’avais jamais été la petite-amie idéale. J’étais du genre brusque et pas vraiment romantique… mais de là à me faire larguer au bout de trois ans de relation avec un vulgaire texto… c’était quand même poussé ! Et puis Jonathan… MON John à moi et personne d’autre sortait désormais avec une autre fille. Plus grande, avec de plus gros seins et de longs cheveux blonds pleins d’extensions. Mon contraire en tous points. C’était la honte et putain ce que ça faisait mal. « Mais faut pas que tu te laisses abattre, c’est un débile de t’avoir quitter, il va finir par le regretter ! ». Ouais, mais moi je ne voulais pas qu’il regrette dans trente ans. Je voulais qu’il regrette maintenant et se jette à mes pieds et demande mon pardon. Ouais, je voulais le voir ramper devant moi, les yeux bourrés de remords… Mais ce n’était pas le cas et j’étais seule comme une conne… Cependant, j’en avais franchement marre de voir ma meilleure amie aussi triste pour moi, alors je pris sur moi, me relevant de ma position allongée et réordonnais mes cheveux, reprenant du poil de la bête. « Bon, tu me les montre ces conversations ? ». Depuis le temps qu’elle me bassinait avec ça, c’était le moment où jamais pour changer de sujet. Ryan soupira, un petit sourire néanmoins dessiné sur le bord de ses lèvres, avant de se relever et de s’asseoir sur la chaise de son bureau, face à son écran d’ordinateur déjà allumé. Ryan correspondait par e-mail avec un inconnu… Afin plus si inconnu que cela puisqu’ils parlaient depuis de très longs mois et je crois qu’elle commençait sérieusement à s’attacher… Ce que je ne voyais pas vraiment d’un très bon œil. Et si ce mec jouait avec elle ? Et si elle finissait par être blessée ? Pire que cela : et s’il était un vieux pervers de soixante ans, prêt à venir lui rendre visite un soir et abuser d’elle ? Ryan était trop douce pour être réellement suspicieuse. C’était ce qui faisait son charme, mais j’avais véritablement peur que ce mec lui vole son innocence et avec la mort de sa mère, j’avais la ferme conviction qu’elle avait déjà vécu bien trop de drames pour qu’un gros connard en rajoute une couche. « Bon, je te montre juste quelques conversations, pas tout, hein ? ». Et dire qu’elle ne l’avait jamais vu. Elle ignorait même jusqu’à ses caractéristiques physiques… mais d’après elle, ce n’était que secondaire. Je n’étais pas vraiment du même avis. Certes, je ne pense pas que le physique fasse tout, mais si elle voulait entamer une relation amoureuse avec ce garçon, elle devait, au moins, savoir à quoi il ressemblait. Mais je pense qu’elle avait tout simplement peur que si elle lui demande une photo, lui-même lui demande la même chose. Ryan était mal dans sa peau, ce que je ne parvenais pas vraiment à comprendre en vue de son physique de déesse. Ouais, ma meilleure amie était vraiment une très jolie fille, mais elle l’ignorait, ce qui était un peu bête en passant. « Bébé ? Il t’a vraiment appelé bébé ?!? », demandais-je, complètement sous le choc. Ryan parut gênée un court instant alors qu’elle refermait rapidement l’historique de la conversation. « Oui, non, mais c’est juste un petit surnom, comme ça… », tentait-elle de m’expliquer, pas vraiment convaincue elle-même par ses propos. Elle était mignonne avec ses joues rosies par la gêne, mais ça ne faisait que confirmer ma première impression, qu’elle connaissait d’ailleurs bien assez pour que je la lui rappelle une nouvelle fois. Elle savait pertinemment que cette histoire de correspondance amoureuse ne m’enchantait guère. Mais Ryan était une grande fille et en tant que meilleure amie, je devais simplement la soutenir… Tout en surveillant ses arrières. « Ecoute Ray, c’est plutôt mignon tout ça et j’espère vraiment que ce mec est sincère, mais je t’en supplie, prends des précautions… ». Au fond, je crois que ça me faisait peur. Parce que si quelque chose m’arrivait à moi, je savais que je pouvais me défendre… mais qu’en était-il de Ryan ? Je ne pouvais pas surveiller ses arrières indéfiniment… Alors, elle se contenta d’un simple hochement de tête en guise de réponse et je fus un peu soulagée.


« c’est vraiment pas une bonne idée… », je soupirais, le côté peureux d’Eliott commençant sérieusement à me taper sur le système. Mais je crois qu’au fond, il n’avait pas tout à fait tord. C’était, effectivement, une mauvaise idée, et alors ? « Arrête de faire ta mauviette et avance ! », lui lançais-je, sans un regard en arrière. Ce soir là, la lune était pleine, tous les éléments étaient présents pour en faire un cadre parfait pour un film d’horreur. Et malgré tout, je persistais. Je crois que j’ai toujours été du genre à chercher les ennuis et ce soir là le démontrait parfaitement. « On y est… », déclarais-je alors que les environs étaient complètement déserts et silencieux. C’était ici, à cet endroit même que le premier meurtre avait eu lieu. Ça avait fait la couverture des journaux et notre ville, qui était d’ordinaire si calme et paisible, faisait désormais la une des magasines. On avait vu passer des camions de télévision et certaines personnes avaient même fait le déplacement juste pour voir ce qu’il s’était passé. Mais il n’y avait rien, même pas une tâche de sang. C’était presque comme si rien ne s’était passé. « Voilà, on a vu, y a rien, on peut repartir maintenant ? ». Eliott et son courage, ça faisait deux. Levant les yeux au ciel, je me retournais vers lui, un sourire amusé sur le bord de mes lèvres. « Ouuuh, mais c’est qu’il a peur le mouton ! ». Faire chier Eliott était très certainement la chose la plus amusante du monde, pour moi… Et ne commencez pas à le prendre en pitié parce que mon ami en faisait de même… Du moins, lorsque la peur ne prenait pas le dessus. « En plus, je vois même pas pourquoi on s’est donné la peine de venir ici… Y a rien ! ». Je soupirais, mais au final, il n’avait pas tout à fait tord. Le lieu était complètement nettoyé, il n’y avait rien de suspect dans le coin. Rien du tout. C’était à peine croyable que quelques jours plus tôt, un homme avait été tué, ici même. « On va bien trouver quelque chose », avouais-je à mi voix, cherchant des yeux une trace, un indice, quoique ce soit. J’entendis Eliott soupirer, mais n’y prêtais pas vraiment de l’importance. Miraculeusement, j’avais réussi à le faire venir avec moi. Thyméo m’avait - gentiment - envoyé sur les roses lorsque je lui avais fait part de mon envie d’aller sur le lieu du crime… Noah m’avait prise pour une folle. Je n’avais même pas proposé à Ryan sachant pertinemment qu’elle refuserait et Britt était trop bizarre en ce moment pour que je lui propose une sortie à deux… Du coup, il ne restait qu’Eliott, qui n’avait pas été chaud, mais n’avait pu se résoudre à me laisser y aller seule. Il avait sorti sa vieille excuse du : je ne veux pas que tu y ailles toute seule, on sait jamais ! Mais lorsque je voyais à quel point il claquait des dents, je doutais fortement qu’il soit d’une grande utilité si on se faisait attaquer. « Putain ça fait chier y a rien ! », lançais-je, déçue. Non pas que j’étais ravie que quelqu’un se soit fait tuer, mais… ça avait un côté excitant. Il ne se passait jamais rien en ville, c’était d’un ennui incroyable et pour une fois que quelque chose se passait, je ne voulais pas l’ignorer. Bien sûr, mes parents pensaient que je passais la soirée chez Eliott à jouer aux jeux vidéos, parce que pour sûr, ils n’auraient jamais accepté que je me rende en ce lieu un peu lugubre. Et alors que je me retournais, toisant du regard un Eliott qui me regardait d’un air : tu t’attendais à quoi sérieux ? Un bruit étrange nous fit sursauter et alors que j’avais du mal à reprendre mes esprits, Eliott attrapa vivement mon bras, me plaquant sur un mur, au détour de la rue. Nous étions planqués, à l’abris des regards des deux hommes qui se trouvaient désormais à l’endroit où nous étions, quelques courtes secondes auparavant. Surement des flics et si Eliott n’avait pas eu le bon réflexe, je n’en aurais pas donné cher de notre peau. Ils auraient surement appelé nos parents et ma mère m’aurait tué. Nos souffles étaient courts et alors que les deux policiers s’éloignaient, je releva la tête vers Eliott… me rendant soudainement compte qu’on était proches… très proches… trop proches ? Son souffle mentholé balayait mon visage et je me perdis un instant dans ses yeux de jades. C’est fou, parce que je connaissais Eliott depuis plus de dix ans et je n’avais jamais remarqué qu’il avait d’aussi jolis yeux. Oui, ce soir là, au clair de lune, je me prenais sa beauté en pleine gueule et c’était aussi étourdissant que la suite m’en laisse encore aujourd’hui pantoise. Je ne sais plus vraiment si c’est lui qui a approché son visage ou bien moi, mais quelques secondes plus tard, ses lèvres étaient sur les miennes, mes mains dans ses cheveux et les siennes autours de ma taille. Jamais personne ne m’avait embrassé de cette manière. Même pas John. C’était douloureux, explosif, délicieux, passionné… Un baiser comme on en voit au cinéma. J’étais si prise dans cet échange que le monde alentour ne comptait plus. Il n’y avait plus qu’Eliott, moi et notre baiser. Plus d’amitié, plus de complications.. Juste un garçon et une fille qui s’embrassent comme s’ils allaient mourir quelques minutes plus tard et que c’était la dernière bonne chose qui leur arrivait… Mais comme tout fantasme, celui-ci prit fin lorsque ses lèvres quittèrent les miennes et que tout le monde extérieur me revînt en tête. Je venais d’embrasser mon meilleur ami.