Vingt-sept juillet 1989, 13h02. Kate Cordell vient de mettre au monde son premier enfant. Avec son mari, Celio, ils ont choisi de refuser de connaître le sexe du bébé avant la naissance. C’était un choix étrange pour certains, amusants pour d’autres. Les parents de Celio et la sœur de Kate attendent impatiemment dans l’étroit couloir. Les parents de Kate ne sont pas là, tous deux décédés quatre ans plus tôt lors d’un accident de la route. Jusque-là, Kate s’était dite persuadée être enceinte d’un petit garçon. « Elle le sentait », comme elle disait. Celio, croyant en l’instinct maternel ajouté à l’intuition féminine, ne s’était pas posé plus de questions et avait fait confiance à Kate. Ils avaient donc déjà choisi le prénom : Dylan. Kate aurait bien aimé choisir le nom de son père, mais elle ne voulait pas imposer à son fils de porter le prénom d’Hugh. Ce serait seulement son deuxième prénom. Non, Kate et Celio avaient choisi un tout autre prénom pour leur enfant. Dylan. C’était un prénom doux, tendre, « à la mode », et simple à la fois. C’était parfait. Tout était parfait ! « Félicitations, c’est une petite fille ! » Contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer, ces mots emplirent de bonheur les deux parents. Pour une surprise, c’en était une ! Mais c’était ce qui rendait l’évènement encore plus spécial, plus unique, aux yeux de Kate. Le couple garda le prénom « Dylan » pour leur fille, trouvant cela original et peu commun. Dylan Salvini naquit donc le vingt-sept juillet 1989, à 13h02, entourée de sa famille, dans la ville de Winchester.

Le dix novembre 2003. Quatorze ans ont passé et comme vous le devinerez, Dylan a maintenant quatorze ans. Elle a beaucoup grandi, depuis la dernière fois ! Elle a pris un bon mètre, et quarante kilos de plus. Elle est le portrait craché de sa mère : la même chevelure blonde, les mêmes yeux verts et quasiment le même caractère ! Une mini-Kate, en somme. Quoique, elle n’a pas vraiment hérité de l’élégance de sa mère. Car Kate, en toute situation, était toujours très classe. Même lors de l’accouchement de ses trois accouchements, elle était parvenue à rester belle et classe, et à ne pas ressembler à un phoque échoué sur la plage. De ce côté-là, Dylan avait plutôt hérité de la maladresse embarrassante de son père. Elle aurait pu être belle mais il y avait toujours qui clochait chez elle. Son appareil dentaire, ses chaussettes dépareillées, les glissades sur le verglas, les points de côté après cent mètres de course, … la rendaient plutôt impopulaire. Elle faisait rire tout le monde, souvent malgré elle ! Ce n’était pas bien méchant, pas de quoi rendre Dylan malheureuse. Et puis maintenant, elle a ses petits frères. Elle n’est pas restée fille unique bien longtemps. Deux ans après sa naissance, sa mère accouchait déjà de son premier petit frère. Aujourd’hui, elle en a un deuxième. Sa mère a accouché il y a deux semaines, au grand bonheur de Dylan. Elle adore s’occuper d’Hugo, le petit dernier.  Au cas où vous n’auriez pas fait le rapprochement, c’est en hommage au père de Kate. Celio et elle ont modernisé le prénom, et cela a donné Hugo. Quant au plus grand, il s’appelle Noah. Ce prénom n’a pas d’histoire particulière, Kate et Celio l’ont « bêtement » trouvé dans un recueil de prénoms pour bébé. A part s’occuper de son petit frère, Dylan a une autre passion : le théâtre. Son père l’a inscrite il y a deux mois, à la rentrée, et elle ne s’en lasse pas. Au début, c’était juste comme ça, pour dire d’avoir une activité extrascolaire. Mais à présent, ça commence réellement à la passionner. Dylan commence déjà à réviser son discours pour l’oscar qu’elle est certaine de recevoir dans quelques années.

Le quinze mars 2006, 23h44. Dylan vient de vivre sa première fois. A côté d’elle, Tyler la regarde en souriant bêtement, et elle se contente de lui renvoyer son sourire. Dans sa bande d’amies, elle est la dernière à avoir perdu sa virginité, même si elle a leur fait croire « qu’elle l’avait déjà fait depuis un bail ». Elle n’avait pas envie d’avoir l’air ridicule ou coincée, ni de se sentir exclue dans leurs conversations sur le sexe. Sarah, sa meilleure amie, avait couché pour la première à  14 ans. Dylan n’avait pas envie de paraître inculte devant elle, alors elle avait commencé à surfer sur des forums, où des internautes du monde entier racontaient leurs premières fois. Elle avait remixé plusieurs histoires, afin de s’en servir pour créer la sienne. Fausse, évidemment. C’était assez stupide de ne pas assumer ça. Ce soir, Dylan se sent libérée. Elle l’a fait. Enfin ! Elle ne sera plus obligée de mentir, maintenant. Elle est libre, soulagée, heureuse. Avec Tyler, ce n’est pas le grand amour, mais ils s’aiment bien. Dylan suit toujours des cours de théâtre, et est toujours aussi peu sportive. Mais ce n’est pas grave. Aujourd’hui, bien des choses ont changé. Elle n’a plus son appareil dentaire, elle se maquille, et elle porte presque toujours une paire de chaussettes identiques ! Elle n’est pas plus élégante pour autant, mais disons qu’elle prête un peu plus d’attention à l’image qu’elle donne d’elle aux autres.

Premier janvier 2010, 12h30. Une nouvelle année commence, pleines de bonnes résolutions. Cette année, Dylan a décidé de quitter la maison familiale. Elle s’est trouvé un appartement, pas loin de chez ses parents, et pourra bientôt emménager. Cette année, Dylan a décidé d’arrêter le théâtre. Elle est une adulte maintenant, c’est fini de rêver, elle ne sera jamais une star de cinéma. C’est parce que cette année, Dylan a décidé d’être une adulte responsable et mature. Elle veut être une femme indépendante et libre, mais elle a peur de ne pas s’en sortir. Et si elle devenait pauvre, et si elle se retrouvait à la rue ? Dylan se pose des tas de questions et s’inquiète pour tout un tas de choses.  Elle ne sait toujours pas quelle carrière elle souhaite mener, elle a donc décidé de suivre une formation de coiffure. Elle veut s’assurer d’avoir un plan B, au cas où le plan A ne fonctionnerait pas. Dylan envie ses frères, et aimerait avoir leur âge, avoir encore du temps pour mûrir avant de devoir prendre de grandes décisions. Elle se sent encore très gamine dans sa tête, et elle craint de ne pas être à la hauteur.

Vingt-six janvier 2014, 20h00. Dylan a maintenant vingt-cinq ans. Elle est assise sur son canapé, aux côtés de son petit frère, Hugo. Il a onze ans maintenant et, ce soir, c’est Dylan qui le garde. Ses parents sont sortis au restaurant, et Noah traîne on-ne-sait-où. « Mets mtv ! » Elle écarquille les yeux et lance un regard effaré à son frère.  « T’as 11 ans, t’es trop jeune pour regarder ça ! » A la place, Dylan met la chaîne d’information. Ca ne l’intéresse pas vraiment, mais elle aime bien regarder le journal télévisé. Elle se sent intelligente. Ce soir encore, le tueur en série qui sévissait en ville est le sujet principal du journal. Dylan en a froid dans le dos, mais elle est aussi en colère. Ce malade ne mérite pas qu’on lui accorde de l’importance et qu’on parle de lui tous les soirs. La peine de mort n’est pas suffisante pour lui faire payer ces meurtres. Il mérite qu’on lui fasse subir la même chose qu’à ses victimes. Dylan tâche de ne rien laisser transparaitre de sa colère devant Hugo, elle ne veut pas l’effrayer. « Dinan, t’as pas peur toi, dans ton taxi ? » Elle hausse les sourcils, surprise par sa question. Elle y pense quelques fois, aux risques de son métier. Aux yeux de tout le monde, c’est un métier banal, pas bien intéressant. Mais Dylan ne sait jamais qui monte à l’arrière de son taxi. Elle a vu des tas de personnes défiler sur cette banquette. Des hommes, des femmes, des enfants, des jeunes, des vieux, des couples, des amis, des amants, des collègues. Mais jamais un criminel. Du moins, pas à sa connaissance. « Bien sûr que non. Tu sais, il y a aura toujours des mauvaises personnes, il ne faut pas vivre dans la peur à cause d’elles. Au contraire ! Il faut leur montrer qu’on est plus fort qu’elles ! » Hugo sourit, visiblement satisfait de la réponse de sa sœur. Dylan, elle, ne pense pas un mot de ce qu’elle vient de dire. Elle aimerait penser ainsi, mais ce n’est pas vrai. Elle est effrayée.  Elle a peur pour elle, mais surtout pour sa famille. « Et moi, t’as pas peur qu’il m’attaque ? » Elle fait semblant de rire, pour détendre l’atmosphère. Au fond d’elle, elle n’a pas du tout envie de rire. Elle a envie de dire à son frère de la fermer, et d’arrêter de penser à des horreurs pareilles. « T’es bête ! C’est pas un ninja ! Et puis, t’es tellement chiant, j’suis sûre qu’il te relâcherait tout de suite ! »