"Raleigh, papa a envoyé une lettre !" Disait-elle en sautillant devant la porte de la chambre. Plongé dans mes bouquins de chimie, matière dont je n’éprouvais pour ainsi dire absolument aucun intérêt, à cet instant, mes cours n'avaient jamais été aussi intéressants. Je levais les yeux en direction de cette petite fille haute comme trois pommes. Plus tard elle viendrait d'ailleurs à comprendre que les lettres envoyées étaient simplement destinées à ne pas lui en vouloir de s'être fait la malle avec une jeune fille que nous devrions appeler "belle-maman". Je pris une profonde inspiration, elle n'avait que 8ans, j'en avais 15 et je ne voulais pas lui gâcher sa bonne humeur. Lui souriant, maman ne tarda à l'appeler pour qu'elle aille prendre sa douche, elle grommela qu'elle en avait prit deux jours auparavant et qu'elle sentait encore bon avant de quitter ma chambre. Mon père, je le détestais, contrairement à elle, j'avais eu la malencontreuse chance de le connaître, avant qu'il ne décide de nous abandonner, ma mère, ma soeur alors en bas-âge et moi. Nous vivions dans un petit appartement à peine éclairé alors que lui se payait des nuits de luxe dans les plus grands hôtels du monde. Il avait choisi sa vie, j'avais choisi de ne plus jamais le revoir.

Le cancer fut foudroyant ! Quelques mois à peine après avoir été diagnostiquée, elle décéda. J'avais emmené ma soeur chez une amie avant de me rendre à son chevet, son dernier souffle, c'est sa main dans la mienne qu'elle le poussa. Ma soeur était trop petite, trop fragile pour voir cette scène, elle vint le lendemain lui faire un dernier adieu. Ma mère, elle qui s'était donné corps et âme pour nous offrir de quoi vivre, cumulant deux emplois, j'avais rapidement repris le rôle du père à l'appartement, j'allais chercher mon insupportable petite soeur à la sortie de l'école, j'aidais ma mère du mieux que je peux. Cette dernière nuit qu'elle passa avec nous, elle en profita pour me remercier d'avoir prit mon rôle autant au sérieux. Je lui promis de veiller du mieux que je pus sur son petit bout de chou. Ce n'était qu'une promesse que je ne pus malheureusement tenir. Je n'avais que 19ans, elle en avait 12, financièrement, déjà que nous vivions la ceinture assez serrée, je ne pouvais l'assumer. Quelques jours plus tard, l'avocate de mon père débarqua dans ce qu'il nous restait de l'appartement, elle m'annonça que mon père voulait nous récupérer, mais j'avais le choix, ne pas la suivre. Voici l'option que je pris, sans aucune hésitation. Ce ne fut pas le cas de ma soeur. Lorsqu'elle compris que je ne la suivrai pas cette fois, elle me regarda, les yeux remplis de larmes. "Tu m'avais promis de ne pas me laisser." Aucuns sons ne sortis de ma voix, ma gorge était nouée, les larmes montaient à mes yeux alors qu'elle me tournait le dos avec l'avocate. Une fois en dehors, je claquais la porte et mon poing vint instantanément se cogner contre le mur. Je m'en voulais, je ne voulais pas la laisser, j'avais promit d'en prendre soin et voilà qu'aujourd'hui elle me quittait... Voilà qu'aujourd'hui je l'abandonnai comme mon père l'avait fait. Une semaine plus tard l'appartement était vendu avec un énorme trou dans le mur du hall d'entrée.

"Restes avec moi !" Ma main sur sa gorge qui baignait dans le sang, j'essayais de faire une pression afin que ce sang gicle moins. Nous étions au beau milieu d'une rue en dehors de la ville. Apparemment un règlement de compte avait eu lieu. Lorsque nous arrivâmes sur les lieux, son corps était étendu sur le sol, l'autre voiture avait prit la fuite, mon coéquipier, bien plus âgé que moi avait eu le temps d'envoyer le numéro de la plaque d'immatriculation aux autorités du coin. A présent il appelait les urgences alors que je me tenais à genoux au chevet de ce gamin. "Gamin", c'est d'ailleurs le surnom qu'il me donnait, je venais de faire mon entrer au commissariat de la ville. Winchester, ma ville natale ! "Gamin, c'est fini !" Dit-il en posant son bras sur mon épaule et en effectuant une pression. Impossible, je ne pouvais le croire, la pression de mes mains se faisait encore plus forte qu'il y a quelques secondes. Je ne pouvais le croire, intimement j'étais convaincu que je pouvais encore sentir son poux entre les doigts. Mais il avait l'expérience, il savait que s'en était fini. Je sentis mon ventre se nouer. "RALEIGH !" Hurla-t-il alors que j'enfonçais un peu plus mes mains pour compresser la plaie béhante que le jeune avait au coup. Une dernière pression sur l'épaule, et voilà que je me tournai dans sa direction, retirant d'un coup sec sa main, je me levais d'un bons, n'hésitant pas à balancer une insulte par la même occasion. "Tu ne pouvais rien y faire !" Mes mains étaient pleine de sang, le sang d'un innocent, ma vision se troublait alors que je sentais mon ventre se nouer un peu plus, un étrange goût de fer s'installa dans ma bouche tandis que je m'éloignais de la scène. Mon coéquipier et accessoirement supérieur me suivit. "Tu ne peux pas tous les sauver !" Malheureusement il en avait bien raison, malheureusement je devais m'en convaincre. Je regardais mes mains, rouges. Ce fut la deuxième fois qu'une personne venait à décéder à mes côtés. Une chose est sûre, jamais une troisième ne viendrait à mourir en ma présence !

"Je vais pas sortir avec quelqu'un qui m'appelle Madame !" M'avait-elle dit la première fois que nous nous sommes vus. Et voilà qu'aujourd'hui je passais la quasi-totalité de mes nuits à ses côtés, lorsque je ne travaillais pas. Elle, c'est Grace, elle tient sa galerie d'art, et à vrai dire je n'y comprends absolument rien. Mais voilà maintenant 6 mois que nous entamions une relation que je considérai comme étant sérieuse. Je n'en avais pas connu énormément, à vrai dire même, je n'en avais connu absolument aucune. Les relations sérieuses n'étaient pas vraiment pour moi, non je n'étais pas un coureur de jupons, je ne considérai pas les filles comme du bétail, mais je ne m'investissais pas entièrement dans les relations que j'avais. Jusqu'à elle. Grace Fuller. 31ans, elle tenait sa galerie d'art et je n'étais que le pauvre petit flic qui était venu complètement au hasard dans son local, lorsque mes yeux s'étaient posés sur elle, je ne peux à vrai dire pas expliquer ce qu'il se passa à l'intérieur de mon corps, une sensation complètement indéfinissable, encore aujourd'hui. "Un jour faudra que t'avances Grace. Et si tu dis encore une fois qu'on est amis, j'te jures que j'me barre et tu m'revoie plus." Mais entre Grace et moi il semble y avoir un fossé qui se creuse un peu plus chaque jour. Je tiens à elle, et je suis quasiment certain que c'est réciproque, sinon elle ne m'appèlerai pas le soir, lorsqu'elle se sent seul, sinon je ne passerai pas mes nuits chez elle, caressant ses cheveux pour qu'elle s'endorme sur mon torse. Mais Grace est "veuve", Grace est indépendante, Grace ne veut pas qu'on la voit au bras d'un "gamin". Je sais pourtant qu'elle m'apaise, qu'elle me rend mature, qu'elle m'attendrit, que je prends plaisir à prendre la route jusqu'à chez elle dés que je le peux. Mais jusqu'à quand ? Un jour, à force de me rejeter je finirai peut-être par partir, sans revenir. S'en mordra-t-elle les doigts ?